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Historique du yoga

Six sceaux découverts dans la vallée de l’Indus semblent représenter des personnages assis en posture de yoga. Le yoga était-il déjà pratiqué il y a plus de quatre mille ans dans cette région ? Les chercheurs s’interrogent. Les vestiges archéologiques où ces sceaux ont été découverts sont datés du milieu du troisième millénaire avant notre ère. A cette époque, apparaît la première civilisation indienne avec les cités d’Harapa et de Mohenjo-Daro (aujourd’hui au Pakistan). Deux cités établies le long du fleuve Indus et séparées par 640 kilomètres. L’origine de cette culture urbaine en plein âge du bronze n’est pas définie. Dravidienne ou aryenne ? Les historiens n’ont pas tranché : l’écriture gravée sur les tablettes n’est toujours pas déchiffrée. Un des sceaux, partiellement cassé, montre un dieu à trois visages assis sur une estrade, entouré d’animaux : tigre, rhinocéros, éléphant, buffle et gazelle. Ce dieu, que certains chercheurs assimilent au futur Shiva, porte une coiffe ornée de deux cornes. Il est représenté genoux écartés et plantes des pieds jointes. Si, aujourd’hui, cette position fait partie de la nomenclature classique des traités de yoga et de l’enseignement oral, pour la chercheuse française Ysé Tardan-Masquelier, professeur d’histoire des religions à la Sorbonne, linguiste et éminente spécialiste du yoga, l’hypothèse d’une première posture de yoga est loin d’être établie et l’interprétation d’un yoga datant de quatre mille ans reste discutable (Tardan-Masquelier, 2005, 60).

Les premiers textes qui font explicitement référence au yoga sont les Upanishads (approximativement entre le VII ème et le V ème siècle av. J.C.) Ces textes sont la dernière partie des védas (« livre de la connaissance ») 1. Les Upanishads (il y en a environ 2OO) ont été commentés tout au long de l’histoire. Leur plus grand exégète est Sankarâchârya au VIII ème siècle ; le plus moderne, Vivekânanda (1862-1903). Le yoga est mentionné pour la première fois dans la Katha Upanishad où le corps est comparé à un char dont la conscience est le conducteur. La maîtrise du corps est ainsi accomplie par le contrôle des sens. (…) Le contrôle des sens permettant la maîtrise de prakriti (la matière). » (Waterstone, 1995, 85). Cette idée très ancienne fut ensuite développée dans différentes méthodes fondées sur la kundalinî2 ou le prânayâma (contrôle du souffle). On trouve aussi les origines du yoga dans un autre texte fondateur de la civilisation indienne, la Bhagavad Gîtâ, partie du livre VI du Mahâbbhârata. Le Mahâbbhârata, grand récit épique, compte environ 120.000 versets et est divisé en 19 livres. C’est une œuvre collective impossible à dater mais remontant à environ 1.000 ans avant notre ère, sans cesse augmentée jusqu’au VI ème siècle de notre ère (ces dates sont approximatives : une grande partie du récit remonte sans doute à la période védique (vers 1200 avant notre ère). L’un des épisodes, assez court (700 versets répartis en 18 chapitres), est la Bhagavad Gîtâ (chant du seigneur), texte religieux parmi les plus populaires de l’Inde, qui exalte Vishnu-Krishna3 et qui enseigne, sous forme de dialogue entre le dieu Krishna et le guerrier Arjuna, la discipline de l’action (le karma-yoga). La Bhagavad Gîtâ a été commentée par d’innombrables maîtres et gurus, notamment Shankara, théologien bouddhiste fameux du VIII ème siècle. Ce « chant du seigneur » mentionne le yoga au sens large ou technique du terme selon les moments mais toujours dans le contexte religieux qui baigne cette époque. Pour Ysé Tardan-Masquelier (2005, p. 80), l’originalité de la Bhagavad Gîtâ réside dans le fait que « son yoga tente de répondre aux graves interrogations que pose à l’homme son action dans le monde.(…) Comment accomplir une vocation de guerrier et admettre en même temps que les victimes soient des frères, des oncles ou des cousins ? » Le karma-yoga développé dans la Bhagavad Gîtâ est une forme de yoga qui s’adresse à ceux qui vivent en société, pas aux ascètes.

Si des références au yoga apparaissent dans des textes très anciens (Upanishads et Bhagavad Gîtâ), il faut attendre -200 av. J.C. pour qu’apparaisse le premier traité de yoga, les Yoga Sûtras, attribué à Patanjali4. C’est dans ce texte qu’on trouve cette première définition : « Le yoga c’est la cessation des fluctuations mentales ».

Selon Y. Tardan-Masquelier (2005, 89 à 98), Patanjali divise le yoga en sept étapes : éthique, discipline, asana (postures), pranayama (maîtrise de la respiration), restriction des cinq sens, méditation, samadhi (méditation transcendante).

Bien que considéré comme un classique de l’hindouisme, il développe sa doctrine sur une métaphysique athée5, c’est une philosophie individualiste de la renonciation : l’individu doit retrouver son Soi « réel » par différentes pratiques pour se détacher de ses sens, de son mental… Il y a ici plusieurs « oppositions » avec d’autres formes d’hindouisme où le sensualisme et les rites communautaires sont exacerbés. Ce n’est que plus tard que se développe le Hatha-Yoga6 qui se focalise sur le corps pour parvenir à la libération. Cette libération passe par une expérimentation personnelle du corps en vue de se détacher des normes sociales et parvenir à l’union avec le Soi . Le Hatha-yoga présente une compilation de pratiques pour « rendre le corps parfait » : Techniques de lavements du corps7, de contrôle de la respiration, de blocages musculaires et respiratoires, de postures, bref toute une panoplie de techniques du corps qu’on dénomme yoga en Occident. Le hatha-yoga se développe jusqu’au 15ème siècle et aura une grande influence sur les pratiques et les représentations du bouddhisme et de l’hindouisme.

B. Hindouisme et yoga

Rappelons d’abord que l’hindouisme, religion issue de la révélation védique, n’a jamais eu d’organisation centralisée. Elle s’est éparpillée en grands mouvements puis en sectes aujourd’hui difficiles à recenser. C’est ce qu’explique Madeleine Biardeau dans « L’hindouisme, anthropologie d’une civilisation ». « Chaque saint peut être à l’origine d’un nouveau groupe religieux » ( Biardeau, 1981, 171). C’est à partir des Upanishads que va naître l’hindouisme au sens strict. Ces textes réinterprètent en effet la tradition védique. Ils expriment une nouvelle vision de l’homme, de sa place dans le monde. Certains Upanishads restent liés à l’orthodoxie védique, d’autres glissent vers la pensée magique, mais trois groupes d’Upanishads se distinguent par leur capacité d’innovation spirituelle : les premiers à tendance métaphysique affirment que la connaissance de l’Être et la levée des illusions constituent la voie suprême. Les seconds sont de nature dévotionnelle et placent le salut entre les mains d’un grand Dieu personnel. Les troisièmes, plus tardives, présentent des expériences psycho-somatiques qui deviennent très vite les modèles du yoga (Tardan-Masquelier, 2005, 70). « Ces trois groupes d’Upanishads n’ont pas de frontières très précises : non seulement ils s’empruntent des concepts mais, dès cette époque, on trouve un yoga de la connaissance métaphysique, un yoga de l’amour mystique et un yoga de l’action dans le monde qui puisent au même fond » (Y. Tardan-Masquelier, 2005, 71). Waterstone (1995, 22) précise que, dans les Upanishads, « l’union avec le divin n’est plus le fruit d’un rituel extérieur mais celui d’une transformation intérieure. Le cérémonial afférent au culte, si important dans l’ancienne religion védique et impliquant le sacrifice de nombreux animaux, n’est pas seulement évité mais violemment rejeté. » Vers le milieu du 1er millénaire avant J.C., les brahmanes hindouistes avaient le quasi-monopole de la vie religieuse (en tout cas en Inde du Nord) mais beaucoup de croyants pensaient que la pratique de la religion védique, où le sacrifice tenait une place centrale, ne suffisait plus à satisfaire leurs besoins spirituels. Ceux-là vont chercher une autre voie, par le renoncement, le jeûne, la méditation. Parmi eux, le Bouddha qui, dans une société en transformation (croissance des villes, émergence d’une classe de marchands), quitte sa famille princière et rejoint les ascètes et les renonçants qui contestent l’autorité des Brahmanes (il ne faut pas se cacher cependant que ce que nous connaissons de la jeunesse du Bouddha relève surtout du mythe). Selon la tradition, le Bouddha, qui avait reçu l’enseignement le plus élevé, rejoint les ermites de la forêt pour lesquels douleur et abnégation sont source de délivrance. Bouddha prônera pourtant par après, une idée contraire : puisque le corps fonctionne par l’entremise de l’esprit, c’est l’esprit, et pas le corps, qui doit être contrôlé (Waterstone, 1995, 31). Il rejette alors l’ascétisme des renonçants. Eliade (1962,4) rappelle que le bouddha lui-même a longuement pratiqué le yoga : « Le bouddhisme est incompréhensible sans les méthodes yogiques de concentration et de méditation même si le bouddha se méfie et condamne la possession et l’exhibition de certains pouvoirs attribués aux yogis et que bouddha baptise les « merveilles magiques ». De l’examen de ces courants, on voit déjà les interactions complexes entre hindouisme, bouddhisme et yoga classique8, j’y reviendrai en comparant deux techniques de méditation l’une issue du yoga indien et l’autre du bouddhisme birman.

C. La renaissance de l’hindouisme et l’influence occidentale9

Jusqu’au 19ème siècle, l’hindouisme est resté assez fermé aux influences occidentales. Ensuite, une série de réformateurs vont s’inspirer d’éléments de la pensée occidentale, notamment le christianisme, pour développer un mouvement politico-religieux qui s’intéresse aux questions sociales et éthiques.

Cette renaissance peut-être caractérisée par :

- Un rationalisme pour prouver la vérité des Veda - le rejet de l’idolâtrie
- le rejet des castes, des mariages des enfants, de la pratique de brûler la veuve avec son mari défunt.

Les figures de proue de ce mouvement sont Ram Mohan Roy (1772-1833), Dayananda Sarasvati (1824-1883), Ramakrishna (1836-1886), Vivikânanda (1863-1902) et Gandhi (1869-1948). Vivikânanda10 a eu une profonde influence sur l’expansion de l’hindouisme en Occident. Son guru, Râmakrishna11 (1836-1886), prêtre du temple de Dakshi-neswar au Bengale, formé aux techniques yogis, « expérimenta » différentes religions : hindouisme, islam, christianisme. Il eu des visions de Vaisnava, Jésus, Krishna. Il en conclut que toutes les religions sont « vraies » et qu’elles expriment chacune différentes facettes de « l’éternelle vérité ». Ce mouvement du yoga est rattaché au Bhakti yoga.

Vivikânanda se donna comme mission d’apporter la compréhension de l’hindouisme en Occident. Il fit un discours remarqué au Parlement mondial12 des religions en 1893 à Chicago, où il défendit l’unité des religions et la tolérance. Il contribua aussi à diffuser le stéréotype « d’un Orient spirituel et d’un Occident matérialiste ». Il prône une coopération de la science occidentale et de la spiritualité orientale (« l’Inde n’a pas besoin de missionnaires mais de matériel ! »). Ces différents réformateurs permirent l’apparition d’une identité nationale. Ils créèrent l’hindouisme moderne pratiqué par la classe moyenne en Inde, et par les Hindous à l’étranger13 et qui se veut religion universelle.

Parallèlement à cet essor de l’hindouisme moderne en Inde, se développe un mouvement orientaliste en Occident. Jusqu’au 18ème siècle, seuls les missionnaires cherchaient à comprendre l’hindouisme.

Ensuite, les orientalistes influencèrent de nombreux philosophes, écrivains et psychologues14. Ce mouvement orientaliste va se développer en opposition aux religions « organisées » d’Occident. La société théosophique15, notamment, publie de nombreuses traductions de textes hindous16, des essais, des nouveaux systèmes théologiques… De nombreux Occidentaux partiront en Inde chercher « la voie intérieure » auprès de gurus qui développent des systèmes qui leur sont propres. On peut citer Aurobindo Ghose, Ramana Maharshi, Yogananda18, Datta Maharaj, Savan Singh…

Ce mouvement va exploser dans les années soixante avec le développement de la contre-culture aux États-Unis et la création de nombreux organismes internationaux : T.M19. ; Divine life society ; Hare Krishna ; Siddha Yoga ; International yoga fellowship.